Le risque du mimétisme
Dans le contexte de violences à répétition contre les populations civiles et innocentes un peu partout à travers le monde, quelle réponse individuelle apporter pour ne pas céder au réflexe de la peur et du repli sur soi ? Les actes commis contre l’intégrité morale et physique des personnes ont des origines plurifactorielles pour lesquelles, il n’existe pas de remède unique. Cette situation angoissante nous oblige à repenser en profondeur les conditions qui permettent de vivre paisiblement en société. Notre vie au travail en fait partie et les actes de management reflètent la vision que nous avons de notre environnement et, plus particulièrement, de la confiance que nous avons dans les personnes avec lesquelles nous collaborons. Or, le risque, du comportement mimétique selon le modèle décrit par René Girard et qui consiste à projeter sur l’autre, devenu bouc émissaire, la violence subie, est bien réel .
Surcroît de vie active
Et si une réponse à cette fuite en avant dans le peur de l’autre, était à trouver dans un effort collectif pour ralentir notre logique d’homo faber ? Hannah Arendt avait dans son ouvrage De la Condition de l’Homme Moderne (1958), rappelé l’importance de la vita activa, c’est-à-dire la composante travail, oeuvre et action de l’homme, pour son équilibre psychique et social. Cette valorisation du sens du travail est très tardive dans l’histoire de l’humanité. La tradition philosophique a, en effet, plutôt mis en premier la vita contemplativa . L’affirmation de la supériorité du spéculatif sur le pratique cours depuis l’Antiquité (privilège Aristotélicien de la Skholé sur l’Askolia) jusqu’aux théologiens des 13e-14e siècles. Ses effets se feront encore sentir après le début de la révolution industrielle du 18e siècle. La question que nous pouvons nous poser est alors de savoir si, dans l’affirmation de la primauté du développement de la personne, la dimension contemplative n’a pas été perdue et si une culture prédominante de l’action n’a pas pris le dessus dans les organisations ?
Violence aux travail
La violence au travail est la dérivée de facteurs endogènes ou hétérogènes à la personne.Rappelons que « dans le travail, les individus jouent leur identité et l’estime d’eux mêmes » (Enriquez, 1997). En d’autres termes le regard de l’autre, c’est-à-dire la reconnaissance qui est accordée, est vitale pour le bien-être psychique de l’individu. Mais, si l’estime de soi a été fortement atteinte par la dégradation des conditions organisationnelles du travail (mobilité forcée, open space, aplatissement des structures,…), c’est peut-être aujourd’hui l’estime des autres qui est en risque avec un renforcement des attitudes d’exclusion ou de refus de la différence.
Réintroduire des éléments de vie contemplative
De nouveaux modèles réapparaissent face à l’urgence de se réapproprier nos espaces de vie modernes. Plutôt que de privilégier de manière systémique les actions à cour terme ou la dispersion dans l’Agora communicationnelle qu’offre les réseaux sociaux, il semble que nous voyons apparaître de nouvelles manières de penser le travail qui privilégient la qualité des relations interpersonnelles aux logiques de croissance endémique. Nous y retrouvons par exemples, la formation aux techniques de Communication Non-violente , la pratique de la méditation quotidienne ou encore la redécouverte de notre besoin de jeûner. Il ne s’agit pas d’un mouvement isolé et alternatif en réaction à la problématique écologique et sociale mais bien d’un mouvement de conversion individuel que des dirigeants de grandes organisations commencent à valoriser (voir à ce sujet le discours d’Emmanuel Faber aux étudiants d’HEC de juin 2016 sur Youtube).
Car, ce qui est en jeu, c’est bien notre capacité à sublimer notre stress et nos angoisses pour ne pas les reporter sur ceux avec lesquels nous interagissons. Par l’exemple et la volonté, il est possible d’enrayer des mécaniques discriminatoires qui freinent l’émergence des talents et fragilisent le lien social. Ce manage self est plus particulièrement la responsabilité des dirigeants dont les décisions et le comportement peuvent toucher des équipes de plusieurs centaines, voir milliers de personnes. En osant eux-mêmes explorer des territoires nouveaux, ils deviennent des « edge walkers », ces éclaireurs qui ouvrent d’autres perspectives que celles qui nous ont été présentées à temps et contretemps depuis plus de 50 ans. La pacification des relations sociales peuvent reprendre le dessus si les aspirations individuelles et le besoin social reconvergent comme l’écrivait Daniel Cohen en 2015 (in Le monde est clos et le désir infini, Albin Michel). C’est à ce prix que les délires idéologiques et totalitaires perdront de leur attractivité à une masse égarée et déboussolée. Le premier pas est le plus difficile. Nous pouvons le faire. Bonne rentrée !